Robert Desnos
(1900-1945)
32ko







Vent nocturne

Extraits de Corps et biens (1930)

Sur la mer maritime se perdent les perdus
Les morts meurent en chassant
des chasseurs dansent en rond une ronde
Dieux divins! Hommes humains!
De mes doigts digitaux je déchire une cervelle
cérébrale.
Quelle angoissante angoisse!
Mais les maîtresses maîtrisées ont des cheveux chevelus
Cieux célestes
terre terrestre
Mais où est la terre céleste?

Robert Desnos

Toi aussi tu viendras où je suis

Etat de veille. Mines de rien 1938

Aujourd'hui je me suis promené avec mon camarade.
Même s'il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.
Qu'ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené.
Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.
Maintenant je connais pas mal de morts,
J'ai vu beaucoup de croque-morts

Mais je n'approche pas de leur bord.
C'est pourquoi tout aujourd'hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m'a trouvé un peu vieilli,
Un peu vieilli mais il m'a dit:
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un dimanche ou un samedi,
Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j'ai vu que j'étais seul.
Alors je suis rentré parmi les hommes.

Robert Desnos, "Etat de veille. Mines de rien 1938"

You will also come where I am

Etat de veille. Mines de rien 1938

To day, I had a walk with my mate.
Even if he is dead,
I had a walk with my mate.
How beautiful blooming trees were,
The horse chestnut trees that snowed on the day he died.
With my mate, I had a walk.
Formely, only my parents went to burials
I felt myself like a little child.
Now I know a lot of dead people,
I have seen many morticians'
but, I don't have any relations with them.

It is why all the daylong
I had a walk with my friend.
He found me slightly older,
slightly older but he told me:
You will also come where I am,
On Sunday or on Saturday.
Then, I watched the blooming trees,
the river passing beneath the bridge
Suddenly, I realized that I was alone,
so, I came back among humankind.

English translation by: Gilles de Seze

***

Les espaces du sommeil

Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles
du monde et la grandeur et le tragique et le charme.
Les forêts s'y heurtent confusément
avec des créatures de légende cachées dans les fourrés.
Il y a toi.

Dans la nuit il y a le pas du promeneur
et celui de l'assassin et celui du sergent de ville
et la lumière du réverbère
et celle de la lanterne du chiffonnier.
Il y a toi.

Dans la nuit passent les trains et les bateaux
et le mirage des pays où il fait jour.
Les derniers souffles du crépuscule
et les premiers frissons de l'aube.
Il y a toi.

Un air de piano, un éclat de voix.
Une porte claque. Un horloge.
Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels.
Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse.
Il y a toi l'immolée, toi que j'attends.

Parfois d'étranges figures naissent
à l'instant du sommeil et disparaissent.
Quand je ferme les yeux,
des floraisons phosphorescentes apparaissent
et se fanent et renaissent comme des feux d'artifice charnus.
Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures.
Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.

Et l'âme palpable de l'étendue.
Et les parfums du ciel et des étoiles
et le chant du coq d'il y a 2,000 ans
et le cri du paon dans des parcs en flamme et des baisers.

Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière blafarde
et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.
Il y a toi sans doute que je ne connais pas,
que je connais au contraire.

Mais qui, présente dans mes rêves,
t'obstines à s'y laisser deviner sans y paraître.
Toi qui restes insaisissable
dans la réalité et dans le rêve.

Toi qui m'appartiens de par ma volonté
de te posséder en illusion
mais qui n'approches ton visage du mien
que mes yeux clos aussi bien au rêve qu'à la réalité.

Toi qu'en dépit d'un rhétorique facile
où le flot meurt sur les plages,
où la corneille vole dans des usines en ruines,
où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb.

Toi qui es à la base de mes rêves
et qui secoues mon esprit plein de métamorphoses
et qui me laisses ton gant quand je baise ta main.
Dans la nuit il y a les étoiles
et le mouvement ténébreux de la mer,
des fleuves, des forêts, des villes, des herbes,
des poumons de millions et millions d'êtres.

Dans la nuit il y a les merveilles du mondes.
Dans la nuit il n'y a pas d'anges gardiens
mais il y a le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.

Dans le jour aussi.

Robert Desnos

Référence: Lieder songs

Sleep spaces


In the night there are of course the seven wonders
of the world and the greatness tragedy and enchantment.
Forests collide with legendary creatures hiding in thickets.
There is you.

In the night there are the walker's footsteps
the murderer's
the town policeman's light
from the streetlamp and the ragman's lantern
There is you.

In the night trains go past and boats
and the fantasy of countries where it's daytime.
The last breaths of twilight
and the first shivers of dawn.
There is you.

A piano tune, a shout.
A door slams. A clock.
And not only beings and things and physical sounds.
But also me chasing myself or endlessly going beyond me.
There is you the sacrifice, you that I'm waiting for.

Sometimes at the moment of sleep strange figures
are born and disappear.
When I shut my eyes
phosphorescent blooms appear and fade
and come to life again like fireworks made of flesh.
I pass through strange lands with creatures for company.
No doubt you are there, my beautiful discreet spy.

And the palpable soul of the vast reaches.
And perfumes of the sky
and the stars the song of a rooster from 2000 years ago
and piercing screams in a flaming park and kisses.

Sinister handshakes in a sickly light
and axles grinding on paralyzing roads.
No doubt there is you who I do not know,
who on the contrary I do know.

But who, here in my dreams, demands
to be felt without ever appearing.
You who remain out of reach
in reality and in dream.

You who belong to me through my will
to possess your illusion
but who brings your face near mine
only if my eyes are closed in dream as well as in reality.

You who in spite of an easy rhetoric
where the waves die on the beach
where crows fly into ruined factories,
where the wood rots crackling under a lead sun.

You who are at the depths of my dreams
stirring up a mind full of metamorphoses
leaving me your glove when I kiss your hand.
In the night there are stars
and the shadowy motion of the sea,
of rivers, forests, towns, grass
and the lungs of millions and millions of beings.

In the night there are the seven wonders of the world.
In the night there are no guardian angels,
but there is sleep.
In the night there is you.

In the daylight too.

***

Au mocassin le verbe

Extraits de Corps et biens Langage cuit (1923)

Tu me suicides, si docilement.
Je te mourrai pourtant un jour.
Je connaîtrons cette femme idéale
et lentement je neigerai sur sa bouche.
Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard,
même si je fais beau temps.
Nous aimez si peu nos yeux
et s'écroulerai cette larme sans
raison bien entendu et sans tristesse.
Sans.

Robert Desnos

To moccasin the verb

Extraits de Corps et biens Langage cuit (1923)

So docilely you suicide me.
Yet I will die to you some day.
I our future knowledge of this ideal woman
slowly I will snow over her mouth.
And I will probably rain even if I become late hours, even if I am fine weather.
We so scarce your attraction to our eyes
then this tear I will eventually fall down obviously with no
Reason nor sorrow
Without any.

English translation by: Gilles de Seze

***

Un jour qu'il faisait nuit

Extraits de Corps et biens Langage cuit (1923)

Un jour qu'il faisait nuit

Il s'envola au fond de la rivière.
Les pierres en bois d'ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.
Tout rien.
Je la hais d'amour comme tout chacun.
Le mort respirait des grandes bouffées de vide.
Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés.
Après cela il descendit au grenier.
Les étoiles de midi resplendissaient.
Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine.
Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.
En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.
Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.
Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l'aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.

La pluie nous sécha.

Robert Desnos

***

Fête-Diable, 1934

La dernière goutte de vin s'allume au fond du verre où vient d'apparaître un château.

Les arbres noueux du bord de la route s'inclinent vers le voyageur.

Il vient du village proche,
Il vient de la ville lointaine,
Il ne fait que passer au pied des clochers.
Il aperçoit à la fenêtre une étoile rouge qui bouge,
Qui descend, qui se promène en vacillant
Sur la route blanche, dans la campagne noire.
Elle se dirige vers le voyageur qui la regarde venir.
Un instant elle brille dans chacun de ses yeux,
Elle se fixe sur son front.
Étonné de cette lueur glaciale qui l'illumine,
Il essuie son front.
Une goutte de vin perle à son doigt.
Maintenant l'homme s'éloigne et s'amoindrit dans la nuit.
Il est passé près de cette source où vous venez au matin
cueillir le cresson frais,
Il est passé près de la maison abandonnée.
C'est l'homme à la goutte de vin sur le front.
Il danse à l'heure actuelle dans une salle immense,
Une salle brillamment éclairée,
Resplendissante de son parquet ciré
Profond comme un miroir.
Il est seul avec sa danseuse
Dans cette salle immense, et il danse
Au son d'un orchestre de verre pilé.
Et les créatures de la nuit
Contemplent ce couple solitaire et qui danse
Et la plus belle d'entre les créatures de la nuit
Essuie machinalement une goutte de vin à son front,
La remet dans un verre,
Et le dormeur s'éveille,
Voit la goutte briller de cent mille rubis dans le verre
Qui était vide lorsqu'il s'endormit.
La contemple.
L'univers oscille durant une seconde de silence
Et le sommeil reprend ses droits,
Et l'univers reprend son cours
Par les milliers de routes blanches tracées par le monde
À travers les campagnes ténébreuses.

Robert Desnos (1934)

***

Demain

(État de veille, 1942)

Agé de cent-mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, o demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,

Peut gémir: neuf est le matin, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.

Robert Desnos (État de veille, 1942)

***

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Chef d'oeuvre: Picasso, The Tragedy, 1903

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