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Robert Desnos
(1900-1945)

32ko













Non, l'amour n'est pas mort en ce coeur et ces yeux et cette bouche qui proclamait ses funérailles commencées.
Écoutez, j'en ai assez du pittoresque et des couleurs et du charme.
J'aime l'amour, sa tendresse et sa cruauté.
Mon amour n'a qu'un seul nom, qu'une seule forme...

Robert Desnos













À la mystérieuse (1926)

J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi
que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser
sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?

J'ai tant rêvé de toi
que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et
me gouverne depuis des jours et des années,
je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi
qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie
et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi,
je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres
que les premières lèvres et le premier front venu.

J'ai tant rêvé de toi,
tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
qu'à être fantôme parmi les fantômes et
plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et
se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos (1900 - 1945)

***

You have been in ...

You have been in my dreams for so long,
That you lose reality
Is it still time enough to reach that living body and to kiss
on that mouth the so dear birth of your voice?

You have been in my dreams for so long,
That my arms, in embracing your shade,
used to meet across my chest,
wouldn't fit in with the contour of your body, perhaps
And that, faced to the real display of my haunter
and my ruler for days and years,
I might become a shade.
O sentimental balances

You have been in my dreams for so long,
That time for me to waken is probably gone.
I sleep standing, my body exposed to the complete appearances of life
and love and you, the only one who still matter to me at present,
I could less easily touch your forehead and your lips
than the first lips and the first forehead to come.

You have been in my dreams for so long,
where I was walking, talking, sleeping with your phantom
That there is nothing left to me, perhaps, and yet,
but to be a phantom among phantoms and
more of a shade one hundred fold
than the shadow cheerfully walking at present and
in the future over the sundial of your life.

English translation by: Gilles de Seze

***

Non l'amour n'est pas mort

Non, l'amour n'est pas mort en ce coeur
et ces yeux et cette bouche qui proclamait ses funérailles commencées.
Écoutez, j'en ai assez du pittoresque et des couleurs et du charme.
J'aime l'amour, sa tendresse et sa cruauté.
Mon amour n'a qu'un seul nom, qu'une seule forme.
Tout passe. Des bouches se collent à cette bouche.
Mon amour n'a qu'un nom, qu'une forme.
Et si quelque jour tu t'en souviens
Ô toi, forme et nom de mon amour,
Un jour sur la mer entre l'Amérique et l'Europe,
À l'heure où le rayon final du soleil se réverbère sur la surface ondulée des vagues, ou bien une nuit d'orage sous un arbre dans la campagne, ou dans une rapide automobile,
Un matin de printemps boulevard Malesherbes,
Un jour de pluie,
À l'aube avant de te coucher,
Dis-toi, je l'ordonne à ton fantôme familier, que je fus seul à t'aimer davantage et qu'il est dommage que tu ne l'aies pas connu.
Dis-toi qu'il ne faut pas regretter les choses: Ronsard avant moi et Baudelaire ont chanté le regret des vieilles et des mortes qui méprisèrent le plus pur amour,
Toi, quand tu seras morte,
Tu seras belle et toujours désirable.
Je serai mort déjà, enclos tout entier en ton corps immortel, en ton image étonnante présente à jamais parmi les merveilles perpétuelles de la vie et de l'éternité, mais si je vis
Ta voix et son accent, ton regard et ses rayons,
L'odeur de toi et celle de tes cheveux et beaucoup d'autres choses encore vivront en moi,
En moi qui ne suis ni Ronsard ni Baudelaire,
Moi qui suis Robert Desnos et qui, pour t'avoir connue et aimée,
Les vaux bien.
Moi qui suis Robert Desnos, pour t'aimer
Et qui ne veux pas attacher d'autre réputation à ma mémoire sur la terre méprisable.

Robert Desnos

***

No love is not dead

No, love is not dead in this heart and these eyes and this mouth which announced its burial had began.
Listen, I had enough of the picturesque the colourful and the charming.
I love love, its tenderness and cruelty.
My love has but one name, but one form,
All runs. Mouths are clinging tight to this mouth.
My love has but one name, but one form
If some day you remember by chance
O you, form and name of my love,
One day on the sea between America and Europe,
At the hour when the last sunbeam reverberates over the undulating surface of waves, or may be during a stormy night beneath a tree in the countryside, or in a speeding car,
On a spring morning on the boulevard Malesherbes,
On a rainy day,
At dawn before you go to bed,
Tell yourself, I command your familiar phantom, that I was alone loving you more and that sadly you would not have acknowledged it.
Tell yourself that one must not regret things: Ronsard before me and Baudelaire have sung the regrets of old and dead women who despised the purest love.
When you are dead,
You will be beautiful and always desirable.
Already I will be dead, entirely enclosed within your eternal body, within your astonishing image forever present among the constant marvels of life and of eternity, but if I live
Your voice and its tone, your eye and its rays,
The fragrance of you, of your hair and many other things else still will live within me,
Within me who am neither Ronsard nor Baudelaire,
I who am Robert Desnos and who, for having known and loved you,
Am well worth them.
I who am Robert Desnos, to love you
Who do not want anything else to be remembered by on the despicable earth.

English translation by: Gilles de Seze

***

Si tu savais

Loin de moi et semblable aux étoiles et à tous les accessoires de la mythologie poétique,
Loin de moi et cependant présente à ton insu,
Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t'imagine sans cesse,
Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir.
Si tu savais.
Loin de moi et peut-être davantage encore de m'ignorer et m'ignorer encore.
Loin de moi parce que tu ne m'aimes pas sans doute ou, ce qui revient au même, que j'en doute.
Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés
Loin de moi parce que tu es cruelle.
Si tu savais.
Loin de moi, ô joyeuse comme la fleur qui danse dans la rivière au bout de sa tige aquatique, ô triste comme sept heures du soir dans les champignonnières.
Loin de moi silencieuse encore ainsi qu'en ma présence et joyeuse encore comme l'heure en forme de cigogne qui tombe de haut.
Loin de moi à l'instant où chantent les alambics, l'instant où la mer silencieuse et bruyante se replie sur les oreillers blancs.
Si tu savais.
Loin de moi, ô mon présent tourment, loin de moi au bruit magnifique des coquilles d'huîtres qui se brisent sous le pas du noctambule, au petit jour, quand il passe devant la porte des restaurants.
Si tu savais.
Loin de moi, volontaire et matériel mirage.
Loin de moi, c'est une île qui se détourne au passage des navires.
Loin de moi un calme troupeau de boeufs se trompe de chemin, s'arrête obstinément au bord d'un profond précipice, loin de moi, ô cruelle.
Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille nocturne du poète. Il met vivement le bouchon et dès lors il guette l'étoile enclose dans le verre, il guette les constellations qui naissent sur les parois, loin de moi, tu es loin de moi.
Si tu savais.
Loin de moi une maison achève d'être construite.
Un maçon en blouse blanche au sommet de l'échafaudage chante une petite chanson très triste et, soudain, dans le récipient empli de mortier apparaît le futur de la maison : les baisers des amants et les suicides à deux et la nudité dans les chambres des belles inconnues et leurs rêves- à minuit, et les secrets voluptueux surpris par les lames de parquet.
Loin de moi,
Si tu savais.
Si tu savais comme je t'aime et, bien que tu ne m'aimes pas, comme je suis joyeux, comme je suis robuste et fier de sortir avec ton image en tête, de sortir de l'univers.
Comme je suis joyeux à en mourir.
Si tu savais comme le monde m'est soumis.
Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière.
Ô toi, loin de moi, à qui je suis soumis.
Si tu savais.

Robert Desnos

***

If you only knew

Far from me and like the stars, the sea and all the trappings of poetic myth,
Far from me but here all the same without your knowing,
Far from me and even more silent because I imagine you endlessly.
Far from me, my lovely mirage and eternal dream, you cannot know.
If you only knew.
Far from me and even farther yet from being unaware of me and still unaware.
Far from me because you undoubtedly do not love me or, what amounts to the same thing, that I doubt you do.
Far from me because you consciously ignore my passionate desires.
Far from me because you are cruel.
If you only knew.
Far from me, joyful as a flower dancing in the river at the tip of its aquatic stem, sad as seven p.m. in a mushroom bed.
Far from me yet silent in my presence and still joyful like a stork-shaped hour falling from on high.
Far from me at the moment when the stills are singing, at the moment when the silent and loud sea curls up on its white pillows.
If you only knew.
Far from me, o my ever-present torment, far from me in the magnificent noise of oyster shells crushed by a night owl passing a restaurant at first light. If you only knew. Far from me, willed, physical mirage.
Far from me there's an island that turns aside when ships pass.
Far from me a calm herd of cattle takes the wrong path, pulls up stubbornly at the edge of a steep cliff, far from me, cruel woman.
Far from me, a shooting star falls into the poet's nightly bottle.
He corks it right away and from then on watches the star enclosed in the glass, the constellations born on its walls, far from me, you are so far from me.
If you only knew.
Far from me a house has just been built.
A bricklayer in white coveralls at the top of the scaffolding sings a very sad little song and, suddenly, in the tray full of mortar, the future of the house appears: lovers' kisses and double suicides nakedness in the bedrooms strange beautiful women
and their midnight dreams, voluptuous secrets caught in the act by the parquet floors.
Far from me, If you only knew. If you only knew how I love you and, though you do not love me, how happy I am, how strong and proud I am, with your image in my mind, to leave the universe.
How happy I am to die for it.
If you only knew how the world has yielded to me.
And you, beautiful unyielding woman, how you too are my prisoner.
O you, far-from-me, who I yield to.
If you only knew.

***

À la faveur de la nuit

Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre.
Cette ombre à la fenêtre c'est toi, ce n'est pas une autre, c'est toi.
N'ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s'ouvre et le vent, le vent
qui balance bizarrement la flamme
et le drapeau entoure ma fuite de son manteau.
La fenêtre s'ouvre: ce n'est pas toi.

Je le savais bien.

Robert Desnos

***

Under Cover of Night

To slip into your shadow under cover of night.
To follow your footsteps, your shadow at the window.
That shadow at the window is you and no one else; it's you.
Do not open that window behind whose curtains you're moving.
Shut your eyes.
I'd like to shut them with my lips.
But the window opens and the breeze, the breeze
which strangely balances flame
and flag surrounds my escape
with its cloak.
The window opens: it's not you.
I knew it all along.

***

Ô douleurs de l'amour!

Ô douleurs de l'amour!
Comme vous m'êtes nécessaires et comme vous m'êtes chères.
Mes yeux qui se ferment sur des larmes imaginaires,
mes mains qui se tendent sans cesse vers le vide.
J'ai rêvé cette nuit de paysages insensés et d'aventures dangereuses
aussi bien du point de vue de la mort que du point de vue de la vie,
qui sont aussi le point de vue de l'amour.
Au réveil vous étiez présentes, ô douleurs de l'amour, ô muses du désert, ô muses exigeantes.
Mon rire et ma joie se cristallisent autour de vous.
C'est votre fard, c'est votre poudre, c'est votre rouge,
c'est votre sac de peau de serpent, c'est vos bas de soie...
et c'est aussi ce petit pli entre l'oreille et la nuque,
à la naissance du cou,
c'est votre pantalon de soie et votre fine chemise et votre manteau de fourrure, votre ventre rond c'est mon rire et mes joies
vos pieds et tous vos bijoux.
En vérité, comme vous êtes bien vêtue et bien parée.

Ô douleurs de l'amour, anges exigeants, voilà que je vous imagine
à l'image même de mon amour, que je vous confonds avec lui...
Ô douleurs de l'amour, vous que je crée et habille,
vous vous confondez avec mon amour dont je ne connais
que les vêtements et aussi les yeux, la voix, le visage, les mains,
les cheveux, les dents, les yeux... Robert Desnos

***

O sorrows of love!

O sorrows of love!
How dear and essential you are.
My eyes shut on imaginary tears,
hands forever reaching out to emptiness.
Last night I dreamed of insane landscapes and adventures
as dangerous from the point of view of death as from
that of life, which are also the point of view of love.
When I woke up you were there, sorrows of love, desert muses, demanding muses.
My laughter and my joy crystallize around you.
It's your makeup, your powder, your rouge,
your snakeskin bag, your silk stockings...
and it's also that little fold of skin between the ear and the nape,
where the neck begins,
it's your silk slacks, your delicate blousev and your fur coat, your round belly, it's my laughter and my joys
your feet and all your jewels.
How really well-dressed and good-looking you are.

O sorrows of love, demanding angels, there I go
picturing you as my love, confusing youv with her...
Sorrows of love that I create and dress,
you get confused with my love about whom I know only
her clothing and her eyes, her voice, her face, her hands,
her hair, her teeth, her eyes ..




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Chef d'oeuvre: Pablo Picasso - Woman with a Crow, 1904

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